La cour de l'ancien Hôpital d'Issoudun, réaménagé en Service de Rééducation Fonctionnelle
(photo centre hospitalier)
Corps et Âme fut écrit en 1996 pour l'inauguration d'un service de pointe au Centre Hospitalier de la Tour Blanche d'Issoudun : le service de rééducation fontionnelle.
Dédiée au personnel soignant de cet hôpital ainsi qu'aux malades en général, cette oeuvre évoque de façon poignante la maladie, en citant intégralement un poème de Sabine Sicaud, jeune poétesse née à Villeneuve-sur-Lot en 1913 qui, après avoir été remarquée par la Comtesse Anna de Noailles pour un poème primé en 1924 et avoir publié en 1926 un recueil salué de tous et préfacé par celle-ci, mourut prématurément à l'âge de 15 ans (1928) d'une terrible maladie, l'ostéomyélite.
Sabine Sicaud
Donné en création le 1er juin 1996 par l'orchestre des élèves et des professeurs de la ville d'Issoudun sur le parvis de l'hôpital (photo ci-dessous), Corps et Âme fut rejoué en salle pour le concert de fin d'année du Conservatoire et c'est de cette version que nous aurons l'enregistrement dont sont extraits les exemples cités.
La récitante était Marie-Noëlle Bichet, la propre fille du compositeur, qui après une spécialisation "théâtre" au lycée d'Issoudun poursuivait des études d'art dramatique au Conservatoire National de Tours.
La récitante derrière le compositeur qui présente son oeuvre
Après une première partie déchirante destinée à évoquer la maladie et qui rappelle un peu le début du Voyage d'un Papillon, l'orchestre s'efface pour faire place au récitant (de préférence une jeune femme, dont la voix est plus proche de celle de l'enfant poète), qui déclame le poème de Sabine Sicaud intitulé Maladie dans son entier.
Mais écoutons d'abord les quatre premières minutes, l'entrée dans l'univers de la souffrance. Vous percevrez parmi l'abondant pupitre des percussions la présence d'un ressort Baschet (voir ici en cliquant sur "détail des instruments", puis sur l'instrument lui-même, et ici, où l'exemple musical inclut apparemment un autre instrument, à corde semble-t-il), que Robert Bichet a largement utilisé dans son second Mardi 13 février (voir ici : on y entend parfaitement le "ressort" qui donne une résonance profonde et continue, due au frottement de la baguette sur les spires métalliques, dans le second extrait de la seconde partie, à partir de la 75e seconde). Vous aurez remarqué également que le piano, utilisé comme percussion, est parfois joué en frappant directement sur les cordes à l'aide de mailloches, ou en les caressant.
A la 11e minute se lève la récitante, au terme d'une montée en tension de plus en plus haletante.
MALADIE
Ah ! Laissez-moi crier, crier, crier...
Crier à m’arracher la gorge,
Crier comme une bête qu’on égorge,
Comme le fer martyrisé dans une forge,
Comme l’arbre mordu par les dents de la scie,
Comme un carreau sous le ciseau du vitrier,
Grincer, hurler, râler. Peu me soucie
Que des gens s’en effarent, j’ai besoin
De crier jusqu’au bout de ce qu’on peut crier.
Les gens ? Vous ne savez pas comme ils sont loin ?
Comme ils existent peu, lorsque vous supplicie
Cette douleur qui vous fait seul au monde.
Avec elle on est seul, seul dans sa geôle.
Répondre ? Non, je n’attends pas qu’on me réponde.
Je ne sais même pas si j’appelle au secours,
Si même j’ai crié, crié comme une folle,
Comme un damné, toute la nuit et tout le jour
Cette chose inouïe, atroce, qui me tue,
Croyez-vous qu’elle soit
Une chose possible à quoi l’on s’habitue ?
Cette douleur, mon Dieu, cette douleur qui tue
Avec quel art cruel de supplice chinois
Elle montait, montait, à petits pas sournois,
Et nul ne la voyait monter, pas même toi,
Confiante santé – ma santé méconnue…
C’est vers toi que je crie, ah, c’est vers toi, vers toi.
Pourquoi, si tu m’entends, n’être pas revenue ?
Pourquoi me laisser tant souffrir, dis-moi pourquoi,
Ou si c’est ta revanche, et parce qu’autrefois
Jamais, simple santé, je ne pensais à toi…
Sabine Sicaud
Poèmes posthumes
Voici maintenant la fin de cette déclamation et le début de la troisième partie, qui évoque la guérison.
On entend bientôt le coeur qui se remet à battre, puis des frémissements indiquant une gaieté recouvrée, un corps de nouveau libre... Et à travers une bande de sons enregistrés, l'oeuvre va s'achever sur une autre citation, musicale celle-ci : l'air de jazz Body and Soul, interprété au saxophone ténor par Coleman Hawkins, et qui a donné à l'oeuvre son titre.
Body & Soul, enregistré en 1939 (début).
Ecoutons donc maintenant la fin de cette vaste fresque, dont la tonalité heureuse s'enrichit de chants d'oiseaux au printemps, tandis qu'un train à vapeur symbolise un nouveau départ dans l'existence... Bientôt ce sera l'ambiance colorée d'un marché par un matin frais, d'où surgit pour terminer le chant du saxo, chaleureux et réconfortant.
La pièce, d'une trentaine de minutes, se joue sans interruption, chaque partie s'enchaînant à la précédente comme dans le Voyage d'un Papillon.