Robert Bichet aimait l'enseignement mais ne se sentait pas particulièrement à sa place dans l'Education nationale. Ne souhaitant pas se limiter à son instrument - le hautbois - il se sentait prêt à promouvoir le goût de la musique de façon plus vaste auprès des jeunes.
C'est pourquoi, riche des deux licences qu'il vient d'obtenir de la faculté de Paris VIII (musique et arts plastiques, voir ici) et de sa vaste prestation dans l'univers culturel de La Courneuve (voir ici), il sollicite du Conservatoire devenu Régional de Tours (et notamment de Gilbert Flory et de Jacques Albrespic, ses maîtres, voir ici) leur appui pour obtenir un poste de directeur de Conservatoire ou d'Ecole Municipale de Musique dans la Région Centre.
Il est justement père pour la seconde fois, d'une petite Morgane née en décembre 1980 ; et férocement opposé à la vie de banlieue, il ne se voit pas non plus continuer à vivre dans son petit deux-pièces parisien avec deux enfants.
Morgane Bichet
L'opportunité de partir s'offre à lui dès le printemps 1981, le maire d'Issoudun André Laignel cherchant un remplaçant pour Marcel Naulais (brillant clarinettiste de la Garde Républicaine de Paris) qui souhaitait prendre sa retraite.
Robert Bichet avec Marcel Naulais en 1982
La culture autant que l'enthousiasme de Robert les toucha, et particulièrement sa promesse d'entreprendre au niveau de la ville un vaste travail d'animation en profondeur, touchant les écoles et relié à des projets de créations artistiques originales.
André Laignel tel que l'on peut le voir ici sur le site du PS
André Laignel, homme de gauche et profondément humaniste, avait déjà engagé sur sa ville de grands travaux d'aménagement culturel (une médiathèque, une belle salle de spectacle et une maison de jeunes destinée à diffuser la culture et les pratiques artistiques autant que sportives) : son but en recrutant un homme tel que Robert était d'insuffler un climat créatif à son conservatoire, comme il l'avait déjà prévu en installant simultanément une troupe de théâtre sur sa salle de spectacle (La troupe du Nain Jaune dirigée par Bruno Nion, au sein du Centre Culturel Albert Camus).
Sur cette image tirée du site de la Ville d'Issoudun on peut voir Le Centre Culturel conçu en forme de trèfle par André Laignel avec ses trois antennes : 1) la Salle de Spectacle ; 2) la Médiathèque avec ses trois secteurs également - jeunesse, adulte, disco-vidéothèque - ; 3) la MELI, "maison d'expression et des Loisirs d'Issoudun". J'ai rajouté en "4" le coeur du trèfle qui est le hall d'entrée ou hall des expositions (les chiffres en rouge sont ajoutés par moi).
Robert reçoit ce message avec reconnaissance, ressentant que pour la seconde fois un "Père Spirituel" (le premier en la matière ayant été Paul Combes, principal du Collège Raymond Poincaré - voir ici) l'aide à réaliser les grands projets de sa vie.
Et c'est tout naturellement qu'après son entrée en fonction en septembre 1981 il s'attelle à une remise à jour du projet poétique "Du Fond du Gouffre", en utilisant cette fois les acteurs de la Troupe, les élèves des écoles de la Ville d'Issoudun, ainsi que les élèves et les professeurs du Conservatoire. C'est la naissance des Trois Métamorphoses du Rêve, qui voient le jour en juin 1982 et sont le début d'une longue série de créations, plus ou moins ambitieuses en fonction des sollicitations ou de l'inspiration.
Création des Trois Métamorphoses du Rêve le 22 juin 1982 au CCAC d'Issoudun
Appelé dans les premiers temps à diriger l'Harmonie Municipale d'Issoudun, c'est à ce moment que Robert transcrit son Choral "La Fleur d'Amour" tiré de Du Fond du Gouffre pour orchestre d'harmonie et le fait jouer à diverses reprises en divers lieux (par exemple à Châteauroux) : Marcel Naulais, éminent artiste pour lequel Robert a aussitôt conçu une grande affection, lui apporte longuement son soutien et ses conseils (comme vous pouvez le voir à cette page, cet homme était loin de se désintéresser de la musique contemporaine et suivait largement Robert sur ce point).
Par ailleurs Robert s'intègre rapidement au Groupe Poétique François Villon, installé sur Issoudun et dirigé par Jean-Noël Baglan, poète doué d'une grande sensibilité (voir ici, dans l'extension du groupe vers "Poètes en Berry").
Après avoir trouvé une petite fermette en pleine campagne à quelques kilomètres de la ville, Robert trouve vite son équilibre dans un milieu particulièrement apte à favoriser son épanouissement.
Robert Bichet photographié en 1988 dans sa nouvelle maison de Condé à l'occasion d'un article de Presse (Cliché Claude Aumon, la Nouvelle République du Centre-Ouest)
Tandis qu'il poursuit ses expositions de peinture ici et là (Châteauroux, Vierzon, Paris-quartier Beaubourg, Montluçon, région de Tours...) il se crée une solide notoriété locale par ses interventions en milieu scolaire destinées à amener les jeunes à la musique ou parfois simplement orientées vers la création poétique, et par son adresse étonnante à faire monter par des enfants de tous niveaux des spectacles toujours passionnants.
Le pire (et on se rappellera ici une scène à la fin du film "Amadeus" de Miloš Forman, où Mozart, critiqué pour son manque de rapidité à écrire son Requiem répondait en montrant son crâne : "tout est là... Le reste n'est que du gribouillis"), le pire est qu'à l'approche de chaque concert la partition n'était jamais finie d'écrire, jamais totalement répétée, ce qui mettait en ébullition les professeurs du Conservatoire ! Mais Robert, imperturbable, affirmait toujours que ses oeuvres étaient secondaires, que l'important était le travail régulier de l'élève et sa préparation des examens (auquel il tenait beaucoup pour la qualité de l'enseignement de sa maison)... Et au bout du compte, comme pour Du Fond du Gouffre, la partition arrivait au jour du concert toute limpide de ses schémas connus de tous, et pour lui donner vie Robert "soufflait", tout en dirigeant, à chacun là où il en était pour que personne ne se perde... Un véritable miracle au bout du compte dont chacun ressortait ébloui, stupéfait, comme ayant participé à une naissance.
Photo de presse du "Voyage d'un papillon", joué en l'Eglise Saint-Cyr d'Issoudun
C'est le cas par exemple avec "Le Voyage d'un papillon" (1985), réalisé en partenariat avec une école maternelle (voir l'article qui lui est consacré ici) ; mais au moins les enfants, eux, avaient-ils travaillé régulièrement toute l'année.
Puis vint une création intéressante quoiqu'exécutée sur le "fil du rasoir" pour d'autres raisons cette fois : les Neuf Espaces Sonores, conçus pour l'inauguration de l'Espace de Loisirs Sportifs (un piscine couverte avec vagues, toboggans, cascades, jets massants et bains à bulles, plus un bowling et un squash, nouvel équipement remarquable apporté par André Laignel à sa ville d'Issoudun). Le concert eut lieu en juin 1986, en partenariat avec des plongeurs et des spécialistes de danse aquatique, et la difficulté jaillit du fait qu'en raison du spectacle nautique associé les instruments et les interprètes souffrirent particulièrement de l'atmosphère "tropicale" dans laquelle il leur fallut jouer.
Une image de la piscine trouvée sur le site de la Ville. L'orchestre était installé devant les vitres.
Après avoir créé à la demande d'une directrice d'école une musique pour un Conte composé par les enfants (Musique pour le Prince, la Princesse et le Sorcier qui ne savait pas sourire, 1987), Robert Bichet se consacre à des oeuvres d'inspiration plus personnelle et plus "ciselée", des variations autour d'un thème emprunté à son ami le peintre Michel Salsmann (voir ici) : ce sont les trois "Mardi 13 février ou une journée à vivre", écrits successivement pour ensemble de percussions (1987), pour les structures Baschet (1988), et pour soprano et piano (1990).
A partir d'une lithographie représentant "quatre baigneurs nus dans une piscine sans eau parmi lesquels l'un n'est pas bronzé, regardant la mer à travers une vitre" (!... l'oeuvre évidemment est allégorique), Robert écrit un poème et l'associe aux différentes versions (voir mes articles ici et là).
C'est en cette période que naît sa 3e fille, Sylviane (février 1987).
Sylviane Bichet
André Laignel instaure une section de spécialisation théâtre au lycée Balzac d'Issoudun pour donner corps à la troupe d'amateurs qui s'y trouvait déjà (la troupe de l'Arlequin, dirigée par Béatrice Billard), et songe utiliser pour la partie pratique de cette formation les acteurs professionnels qu'il héberge à demeure au niveau du Centre Culturel Municipal. En 1988 c'est Claude Confortès qui a succédé à Bruno Nion, et c'est avec lui que Robert prépare une musique de scène pour une vaste évocation de l'Affaire Calas de Voltaire qui sera jouée en 1989 par la section Théâtre en l'honneur de l'anniversaire de la Révolution Française et de la Proclamation des Droits de l'Homme.
Après Point Migration, réalisé sur un texte d'Arthur Rimbaud avec des élèves de maternelle (1991), Robert Bichet crée une nouvelle pièce de circonstance avec "Corps et Âme", grandiose évocation de la maladie conçue pour l'inauguration d'une nouvelle aile du Centre Hospitalier d'Issoudun (1996). Robert utilise là sa fille Marie-Noëlle, devenue élève de la section théâtre du lycée, comme récitante d'un poème de la jeune Sabine Sicaud, morte prématurément des suites d'une dure maladie (voir cet article).
Création de "Corps et Âme" devant la nouvelle aile de l'hôpital d'Issoudun
C'est juste ensuite qu'André Laignel, infatigable bâtisseur, réussit à construire dans le cadre d'une vaste implantation de bâtiments universitaires autour d'une aile de l'IUT de l'Indre rue Georges Brassens, ce qu'il appellera la "Boîte à Musique", un bâtiment encore une fois tripartite puisqu'il abritera :
- le nouveau Conservatoire municipal.
- une jolie petite salle de spectacle dédiée essentiellement à la chanson, mais aussi considérée comme auditorium pour le Conservatoire.
- des studios de répétition et d'enregistrement pour toutes les musiques et tous les musiciens de la ville, avec un régisseur attitré.
Dans cet environnement de choix Robert va pouvoir élargir ses moyens en achetant de nouveaux instruments, en multipliant les classes d'ensemble (orchestre à cordes, orchestre à vents, classes de jazz, chorale d'enfants, chorales d'adultes...) et en créant de nouvelles sections, particulièrement celles qui concernent les musiques traditionnelles.
Préparation du concert donné à Gargilesse en mai 1997 : Parcours secret derrière Orion pour sept saxophones, sous la direction de Frédéric Langé
Tandis que son amitié pour Frédéric Langé le conduit à la composition d'une pièce spécialement conçue pour sa classe de saxophones (et qui ainsi se verra éditée), Parcours secret derrière Orion (1997), peu à peu naît l'idée de l'oeuvre qui va devenir "Berry, Terre d'Inspiration", avec des vielles à roue et des cornemuses berrichonnes, et qui fera l'objet du "Concert de l'an 2000" au CCAC d'Issoudun.
A suivre...