En 1969, Robert Bichet s'engage dans la musique du 8e Régiment de Transmissions, au Mont Valérien, afin de connaître la condition de soldat "comme Apollinaire", tout en étant à Paris, la ville des poètes par excellence.
Cette décision lui sera très profitable puisqu'il y côtoiera d'authentiques artistes, tels Jacques Mercier (devenu chef d'orchestre) et Jean-Luc Génin (saxophoniste passionné de jazz, poète et devenu homme de théâtre).
Jean-Luc Génin, photographié à l'occasion d'un défilé miliaire
C'est alors qu'il décide de reprendre sur Paris la publication d'Expansion d'Amour en y ajoutant ses nouveaux poèmes, ceux réunis sous le titre d'Altitudes d'une part, et les "Douze Paraboles pour une Jeune Fille" d'autre part.
Engagé avec l'éditeur José Millas-Martin et ses Paragraphes Littéraires de Paris, il décide de couronner l'ensemble d'un titre générique : "Triptyque".
Altitudes
Il est évident qu'après les vers classiques et un peu ampoulés de l'Expansion d'Amour, les Six Altitudes présentent déjà beaucoup d'originalité. A fréquenter l'univers musical et surtout France Culture Robert s'est forgé sa personnalité ; et la découverte d'Olivier Messiaen l'a transformé, lui présentant ce qui sera longtemps sa plus haute référence en matière de création, tant musicale que poétique.
Les vers des Altitudes sont intimistes, courts, les strophes parfois elliptiques ; déjà elles présentent des ambiances, et la disposition sur la page compte. Enfin, pour la première fois Robert utilise des "signes conventionnels" : il décide, à partir de signes de ponctuation dont il donne l'explication en fin de livre, d'indiquer autour de certains textes une ambiance particulière - un peu comme une musique de fond derrière une mélodie. Mais le graphisme également, droit ou italique, participe à cette intention d'apporter une théâtralisation au texte, un peu comme s'il s'agissait d'un livret d'opéra.
Le titre "Altitudes" se réfère à l'humeur du jour qui serait élevée, c'est-à-dire optimiste, ou basse, c'est-à-dire dépressive. Le premier poème est dédié à l'alouette "qui monte haut dans le ciel" ; mais ensuite il faut bien reconnaître que blessé sentimentalement à cette époque, Robert n'exprime que de bien basses altitudes...
Voici à titre d'exemple la fin du poème "Métamorphoses" (la 3e partie ou 3e page) - où l'on distingue également un souvenir de l'Enfant et les Sortilèges de Colette-Ravel, ainsi que l'influence de Jean Cocteau cinéaste - :
« Le chat !...
Comme il est beau et cruel !... »
Le vieillard marche doucement !...
Il est seul
Il est lointain
Il a peur...
Le vieillard s'arrête,
Il s'assied près de sa muse...
Elle s'envole... !
Une heure...
Deux heures...
Trois heures...
« Le chat !...
Comme il est beau et cruel !... »
L'avant-dernière des Altitudes, dédiée au "Souvenir" se situe dans ce que le poète appelle "son deuxième étage"... et qui par la disposition alternée des parenthèses à chaque début de vers traduit une "transposition poétique dans l'infini", ou "une ambiance en forme de rêve qui fume". A cette époque Gaston et Fernande Bichet s'arrachaient les cheveux, craignant constamment que leur fils n'attente à ses jours... Mais avec une telle puissance créatrice et une telle aptitude au rêve il en était bien protégé.
( Nos rires...
) Nos pleurs...
( La roulotte qui fume...
) La vieille femme triste...
) Quelques champs...
( Quelques bois...
( Une vieille maison
) La plaine tranquille...
( La petite fille qui joue...
) Le chien morose...
) Et la ville...
( La ville abandonnée...
) La ville qui renaît...
( La ville qui meurt...
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( Un arbre...
) Une colombe,
( Un soleil... un midi...
) La rivière et le fleuve...
) ... !
( La colombe qui vole...
) Liberté...
( Mais là-bas...
) La cage pour l'attraper...