Ayant pris la tête du Conservatoire Municipal de Musique d'Issoudun à l'automne 1981, Robert Bichet se fit un devoir de préparer pour la fin de l'année scolaire une oeuvre originale qui soit dédicacée à cette ville, comme il l'avait fait précédemment pour le Collège de La Courneuve.
Il reprit donc en partie son "Du Fond du Gouffre" qu'il pensait avoir laissé un peu en suspens, pris par le temps, et organisa sa nouvelle oeuvre en trois parties sous le nom de "Trois Métamorphoses du Rêve".
Le pupitre de violon avec au premier plan René Malleret, professeur de la classe, au soir de l'exécution des "Trois métamorphoses du Rêve".
Il disposait cette fois, non seulement d'un orchestre (celui des élèves et des professeurs du Conservatoire, plus des musiciens de l'orchestre d'harmonie qu'il était alors chargé de diriger), de choeurs (la chorale d'enfants du Conservatoire), mais aussi de récitants à travers les acteurs de la troupe du Nain Jaune installée dans ce que l'on appelait à l'époque le "C.D.I." ou Centre Dramatique d'Issoudun1 ; il leur ajouta les enfants des écoles de la ville, avec les peintures qu'ils avaient réalisées sur différents quartiers de la cité, et le Club "Photo" de la MELI (Maison d'Expression et des Loisirs d'Issoudun), auxquels il réserva un rôle tout à fait particulier.
Quant aux trois solistes (hautbois, vibraphone et ondes Martenot), il leur attribua de nouveau les "Déserts" parfaitement achevés qu'il avait écrits pour Du fond du Gouffre, mais aussi une place de premier plan au sein de la partition ; et comme Patrice Chazal ne pouvait se libérer il confia le pupitre de vibraphone à un jeune enseignant du Conservatoire de Montluçon dont il fit à ce moment la connaissance : Daniel Ardaillon (voir ici un article où il est cité).
Daniel Ardaillon au vibraphone lors de l'exécution des "Trois Métamorphoses du Rêve". Derrière lui, les garçons de la chorale du Conservatoire.
Dans la Première Métamorphose il intégra ses propres poèmes, ceux qui plus tard devaient être édités sous le titre de Poèmes pour mes Dessins de Nuit (dans Parcours secret derrière Orion, éditions François Villon, Issoudun 1997). Ils furent lus alternativement par Bruno Nion et Bernard Martin.
À sa chorale d'enfants, il apprit aussi à effectuer des onomatopées, différents bruits destinés à évoquer les sons de la nature (crissements d'insectes, reflux des vagues sur le sable) ; et de plus il confia des appeaux dans le but d'illustrer encore mieux les impressions ressenties dans la campagne.
Dans l'extrait suivant les enfants ouvrent progressivement la bouche dans un "mmmouâ" expressif, puis le récitant aborde le poème2 où Robert déplore la perte de sa maison natale (l'auberge avait été vendue par son père) : un cri le ponctue.
Peu à peu les textes nous mènent vers une reprise de possession de soi grâce au secours de la terre à laquelle le poète se sent lié, et à ce moment surgit une nouveauté : la projection contre le décor, au-dessus des musiciens, de photographies réalisées par le Club Photo de la MELI, soigneusement triées et choisies de manière à évoquer les douze mois de l'année.
Voici le poème, puis les deux premiers mois et le début du troisième, dont on perçoit bien la succession à la grande respiration existant entre chaque projection d'image.
Ce "retour à la vie" s'épanouit avec l'évocation de la naissance de la première fille de Robert Bichet ("Mais tu es là, petite fille d'un printemps..."), et c'est sur cette joie que s'achève la première métamorphose, avec le vibraphone qui tinte comme un grelot, la trompette qui sonne triomphalement, et les appeaux utilisés par les enfants choristes.
Sur cette photographie de presse, on voit Robert Bichet levant haut les bras pour commander à la fois un changement de mesure à son orchestre et un changement de diapositive sur le décor.
Dans la Seconde Métamorphose, qui ne doit plus rien à "Du Fond du Gouffre", l'atmosphère change totalement : reprenant une partition de musique électroacoustique qu'il avait travaillée au GRM, Robert Bichet la superpose à des lectures de textes d'enfants de l'Ecole Freinet, en y ajoutant la projection de tableaux peints par les enfants des écoles d'Issoudun et représentant différents lieux de la ville.
Grâce aux sons enregistrés on flotte dans une sensation étrange de rêve éveillé, qui agit comme un baume et peu à peu guérit les blessures évoquées dans la première partie.
Dans la Troisième Métamorphose les choeurs d'enfants et les récitants ne sont plus sur le plateau. Seuls subsistent les solistes et les meilleurs musiciens d'un orchestre lui aussi restreint.
Après une introduction dans le style répétitif au célesta rejoint peu à peu par les autres instruments, puis un intermède très tendre, on va assister à un véritable éloge de la vie quotidienne à travers 24 heures d'une journée, qui sont évoquées musicalement tandis qu'à nouveau des clichés pris par les photographes de la Meli et choisis par Robert sont projetés sur le décor.
Introduction de style répétitif:
Cette création, si elle décontenança beaucoup d'Issoldunois venus cependant applaudir leurs enfants ou admirer les dessins et photographies projetés, enthousiasma les musiciens, subjugués par la maîtrise de Robert Bichet dans la direction d'une oeuvre aussi complexe qu'ils n'avaient eu le loisir de répéter cette fois encore que dans la semaine précédant le concert, ainsi que les responsables culturels touchés de l'intérêt qui leur était porté et la Presse, frappée par la nouveauté de l'évènement.
Martine Geoffroy, journaliste au Berry Républicain et auteur des photographies ci-dessus écrivit peu après :
« Samedi soir - un très grand soir en fait pour la pédagogie et la musique - ce "planeur" incorrigible nous a époustouflés. En créant au C.D.I. son concert poétique "les Trois Métamorphoses du Rêve", Robert Bichet aurait pu nous lâcher en route tant sa puissance créatrice était intense. Mais non, il nous a prouvé (...) qu'avec une personnalité généreuse et un amour passionné de la musique aucun son, fût-il inattendu, aucun rêve donc, aucun sentiment ne restait inaccessible.
Avec ce chef d'orchestre étonnant, les jeunes élèves et leurs aînés (...) ont franchi avec un véritable plaisir (...) un pas de géant dans l'aventure musicale.
" C'est certainement la soirée la plus intéressante qui ait été donnée au C.D.I. depuis sa création" nous confiait le Directeur du Centre Dramatique. Un bien bel éloge. »
1 Et qu'on appelle aujourd'hui le CCAC (Centre Culturel Albert Camus).
2 Troisième partie des Poèmes pour mes dessins de nuit.