Quand j'ai connu Robert, il aimait à m'emmener dans des brasseries parisiennes qui rappelaient la Belle Epoque, par exemple "Chez Julien", rue du Faubourg Poissonnière ou dans une rue parallèle... Des portes en boiserie à tourniquet, d'immenses salles flanquées de miroirs, des garçons à tablier blanc, des petites tables rondes ou rectangulaires à pieds en fer ; un menu simple mais classique, dans lequel le bol de soupe était à la portée de toutes les bourses, même celle du mendiant qui n'était pas exclu des lieux ; on y trouvait encore la petite cervelle d'agneau rissolée mais aussi la soupe à l'oignon gratinée, et tout était servi très vite, monté de la cuisine en sous-sol, et les garçons virevoltaient entre les tables avec leurs plateaux, écrivant la commande puis la note au fur et à mesure sur les nappes de papier de la table.
Bien sûr les nappes ensuite étaient jetées.
Alors, avant de partir, Robert y faisait des petits dessins au bic noir. Il griffonnait des arbres, des petites maisons, une tête ronde en forme de pleine lune qui regarde, souvent posée par terre... C'était l'époque où, fou de son Bracieux natal, il criait à qui voulait l'entendre : "Quittez tous Paris ! Allez vivre à la campagne !!"
Parfois on arrachait le coin de papier contenant le dessin, pour l'emporter avec nous. Il représentait ses souvenirs de l'allée solognote où il aimait à rêver adolescent, et cette tête c'était la sienne, toujours détachée du corps tandis qu'il s'évadait dans le rêve.
Le jour où il édita son recueil "Mes Saisons de Bracieux" aux éditions Saint-Germain des Prés, il se décida à fixer ses images en illustration pour ses poèmes, et il en ajouta deux pour les miens sur mon recueil "Le Rossignol d'Argent". Ce furent les premières esquisses d'un style très personnel qu'il ne cessa ensuite de développer.
Mes saisons de Bracieux - dessin n°1
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
Voici le premier dessin, datant donc de 1973, qui représente une tête un peu inquiète posée entre deux arbres près d'un escalier...
Mes saisons de Bracieux - dessin n°2
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
La voici plus gaie en fonction du texte qu'elle illustre,
Mes saisons de Bracieux - dessin n°3
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
puis un peu douloureuse, cachée dans la forêt auprès d'une maison secrète. Un escalier s'évade à gauche.
Mes saisons de Bracieux - dessin n°4
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
Plus dense se fait la forêt, tandis que le visage n'est plus celui qui regarde mais peut-être celui même du paysage enfoui derrière des escaliers ignorés.
Mes saisons de Bracieux - dessin n°5
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
Enfin la maison de rêve en pleins bois est bien visible au clair de lune, dans une sorte de clairière ; et à droite, sur un escalier, une tête regarde entre les arbres.
Mes saisons de Bracieux - dessin n°6
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
Et voici la dernière illustration de la vaste fresque intitulée "Mes Saisons de Bracieux" : la tête plus humaine sourit entre les arbres près de sa maison.
Poèmes pour Eux
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
Aux Saisons de Bracieux suivent immédiatement les "Poèmes pour eux", poèmes de détresse où s'exhale la haine d'un monde dogmatique où domine le jugement. Cette illsutration les accompagne, dans laquelle les arbres, les maisons, le visage sont enfermés entre des glaces qui coupent, qui tranchent.
Poèmes venus d'ailleurs - dessin n°1
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
Puis vient la série des "Poèmes venus d'ailleurs". Ce sont des sortes d'incantations, des poèmes "magiques" arrivés d'on ne sait où pour rétablir le droit au rêve. C'est pourquoi les visages qui accompagnent les dessins sont souvent si étranges.
Poèmes venus d'ailleurs - dessin n°2
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
Ici le réconfort s'installe, car l'amour est là : en effet, vous avez deux oiseaux qui s'envolent côte à côte, là-haut dans le ciel.
Poèmes venus d'ailleurs - dessin n°3
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
Un autre poème encore plus mystérieux fait dresser des cornes au visage d'elfe des arbres, tandis que la maison semble bizarrement suspendue.
Poèmes venus d'ailleurs - dessin n°4
Robert Bichet ©Editions St-Germain des Prés, tous droits réservés
Enfin dans le dernier "Poème venu d'ailleurs", la magie a opéré son effet... Pour la première fois Robert parle d'Orion, la grande constellation dont plus tard il se fera un modèle pour d'autres créations ; le paysage, enrichi d'un moulin, est tout désorganisé (la fenêtre sort de nulle part), et le visage posé semble défait, peut-être transformé en un rocher sur le chemin... Mais l'ensemble est équilibré, carré comme le cadre d'Orion lui-même que vous verrez dessiné par derrière, si vous agrandissez l'image, sous la forme de sept petits oiseaux.